Les causes de décès

Les causes de décès

Magali Barbieri, Aline Désesquelles, France Meslé, Laurent Toulemon, Jacques Vallin

Les différences d’évolution de la mortalité observées d’un pays à l’autre ne peuvent se comprendre sans recourir à l’analyse des causes médicales de décès. Pour ce faire on peut utiliser les bases de données existantes, notamment celle de l’OMS. Cette dernière permet de prendre en compte un grand nombre de pays pour des analyses globales qui, cependant, ne peuvent être que sommaires du fait de l’absence de comparabilité dans le temps et dans l’espace des données mises à disposition. Pour aller plus loin il faut constituer des ensembles internationaux de séries à long terme reposant sur des groupes de causes à définition constante et commune à tous les pays. C’est ce qui est fait ici pour la France, les républiques de l’ex-URSS et un nombre croissant d’autres pays du monde.

Le plus souvent l’analyse de la mortalité par cause ne porte que sur la cause principale du décès. La compréhension des évolutions de mortalité gagnerait certainement à ce que soient aussi prises en compte les causes secondaires ou associées. L’exploitation des causes multiples pose toutefois de nombreux problèmes méthodologiques. Nous avons commencé à en démêler l’écheveau et ce travail sera poursuivi. La confrontation internationale des taux de mortalité par cause permet aussi de raffiner l’exercice classique de recombinaison des risques de mortalité les plus faibles en une espérance de vie hypothétique correspondant aux plus faibles mortalités observée à un moment donné. Enfin, la mortalité exceptionnelle due à la canicule d’août 2003 nous a amenés à nous intéresser aux crises de surmortalité observées en France.

Reconstitution de séries continues de décès par cause

À la fin des années soixante-dix, l’INED a ouvert un vaste chantier de reconstruction de séries statistiques détaillées et cohérentes de décès par cause. Nous disposons maintenant de séries de décès par cause reclassés dans la liste détaillée de la 9e révision de la Classification internationale des maladies (CIM) pour les années 1925 à 1999. Cette très riche base de données est disponible sur le serveur de l’INED (http://www-causfra.ined.fr/).

Elle sert de support à de nombreux travaux sur l’évolution de la mortalité en France et plus généralement sur la transition sanitaire. Toutefois, le passage à la 10e révision de la CIM en 2000, associé à l’adoption du codage automatique, a introduit de nouvelles ruptures dans les séries. Pour les traiter, il nous fallait attendre de disposer d’un nombre suffisant d’années après le changement. Les données 2000 à 2005 étant désormais disponibles, il est devenu urgent de reconstituer des séries de données cohérentes intégrant les années les plus récentes. Malheureusement, le changement simultané du mode de codage et de la classification des causes de décès complique sensiblement la question. France Meslé et Jacques Vallin ont mené une première exploration des ruptures introduites par le changement de classification et de mode de codage.

Pour contribuer à une meilleure compréhension des fondements de la transition sanitaire, il est aussi important de tenter d’allonger les séries vers le passé, en remontant en deça de 1925. Dans le cas de la France, il faut alors jongler avec des statistiques de moins en moins détaillées en termes d’âge, de plus en plus partielles en terme de couverture géographique (France entière, puis villes de plus de 10000 habitants, puis Paris seulement) et régies par des nomenclatures de plus en plus éloignées des concepts actuels. Il s’agira néanmoins faire une tentative au moins sur la période 1880-1925.  

Les causes multiples de décès

La plupart des études sur les causes de décès, y compris celles mentionnées ci-dessus, ne reposent, par nécessité, que sur la cause principale de décès, à laquelle, traditionnellement, la statistique accorde la priorité. On sait cependant que, pour importante qu’elle soit, cette information ne rend qu’imparfaitement compte de la réalité. De plus en plus, notamment à mesure que l’essentiel des décès se concentre aux grands âges, il faudrait faire appel à la notion de causes multiples. À côté de la cause principale, nous disposons pour la France d’informations sur les causes immédiate et associées depuis 1979.

Aline Désesquelles et France Meslé ont conduit une première analyse des données disponibles, portant sur les décès à plus de 60 ans. Les données françaises ont également été comparées aux données américaines et italiennes.Cette recherche sera poursuivie dans plusieurs directions. Tout d’abord, les indicateurs développés (Cause-of-death Association Indicator - CDAI - et Standardized Ratio of Multiple to Underlying cause -SRMU) feront l’objet de quelques améliorations. Jusqu’à présent, nos analyses ont porté sur l’examen d’une année particulière. La production de séries longues présente un intérêt en soi. Elle pourrait aussi nous aider à comprendre et à corriger les ruptures introduites par le passage de la 9e à la 10e révision de la CIM et par la mise en place du codage automatique des causes de décès.

Un premier travail de reconstitution sera engagé sur le cas particulier des décès pour lesquels le certificat médical mentionne une maladie de Parkinson ou une démence sénile (y compris maladie d’Alzheimer). Encore peu utilisée par les démographes, l’analyse des causes multiples est cependant extrêmement prometteuse. Dans la mesure où qualité des données fait encore question, le recours à la comparaison internationale nous semble très pertinent. Nous souhaitons donc fédérer un groupe de recherche international sur le sujet. Le fait que cette approche commence à intéresser les institutions internationales facilite cet objectif.

La mortalité exceptionnelle : la canicule de 2003

La surmortalité exceptionnelle due à la canicule du mois d’août 2003 en France a attiré l’attention sur la nécessité de mieux comprendre les ressorts de crises sanitaires de cette nature (crise soudaine, concentrée dans le temps et dans l’espace et dont les victimes ont été essentiellement des personnes âgées).
L’un des enjeux essentiels était d’estimer la surmortalité due à la canicule en terme de recul de l’espérance de vie ou d’années de vie perdues. L’effet à long terme de la vague de chaleur sur la mortalité dépend de trois éléments : le nombre total de victimes, la structure par âge des victimes (pour un même nombre de victimes, les années de vie perdues augmenteront de manière inversement proportionnelle à l’âge moyen des personnes décédées) et l’existence et l’ampleur d’un éventuel effet de moisson.

Pour mesurer ces trois éléments, Magali Barbieri et Laurent Toulemon ont analysé des données d’état civil fournies par l’Insee, à savoir les décès par mois, par sexe, par année d’âge et par département de résidence pour la période 1997-2005. De cette étude, il ressort principalement que l’effet de moisson a été négligeable : parmi les 15 000 victimes de la canicule, une faible proportion, représentant au grand maximum 4 000 personnes, étaient effectivement destinées, compte tenu de leur âge, de leur sexe et leur état de santé, à mourir avant la fin de l’année 2004, indépendamment de la canicule d’août 2003. Les autres auraient pu vivre encore, en moyenne, 8 à 11 ans selon le sexe. Le nombre total d’années de vie perdues approche donc 100 000. La canicule d’août 2003 n’est pas le premier épisode de forte chaleur en France.

Au XXe siècle, les précédents sont survenus en 1911, 1928, 1947, 1957, 1976 et 1983. Mais, entre les épisodes qui provoquent un grand nombre de décès, il existe des étés chauds dont l’effet sur la mortalité est discret mais bien réel, tels, récemment, ceux des années 1990, 1994, 1995 et 1998. La recherche se poursuit donc avec l’objectif de décrire l’évolution séculaire de la mortalité due à la chaleur au 20e siècle -d’après les causes de décès qui lui sont liées, causes initiales, mais aussi, quand c’est possible, causes associées (disponibles depuis 1968) -et d’après le croisement des relevés de température de l’air à Paris-Montsouris, et en province avec la statistique mensuelle des décès, croisement qui permet d’évaluer le nombre de décès dus à la chaleur au fil du temps.

Quelques références :

Désesquelles A., Salvatore M.A., Frova L., PACE M., Pappagallo M., Meslé F. Egidi V., 2010. « Revisiting the mortality of France and Italy with the multiple-cause-of-death approach », Demographic research, vol. 23, n°28, p. 771 - 806

Meslé France, Vallin Jacques, 2012, Mortality and causes of death in 20th century Ukraine [Mortalité et causes de décès en Ukraine au XXe siècle], Dordrecht (Netherlands) / Heidelberg (Germany) / London (United Kingdom) / New York (USA), Springer-Verlag, 279 p ttp://www.ined.fr/fr/ressources_documentation/publications/cahiers/bdd/publication/79/

Meslé France et Vallin Jacques, 2008a. - Effet de l’adoption de la CIM-10 sur la continuité de la statistique des décès par cause. Le cas de la France, Population-F, vol. 63, n°2

Toulemon, Laurent et Magali Barbieri. 2008. The mortality impact of the August 2003 heat wave in France: Investigating the ’harvesting’ effect and other long-term consequences, Population Studies 62(1): 39-54